Mefata’a
Une petite histoire de
cuisine par Albert et Mireille Pardo de Marseille,
La naissance d’un enfant dans un foyer était un
événement important pour toute la famille surtout que l’accouchement
avait lieu à la maison avec l’aide d’une sage-femme et non pas dans
une maternité, comme de nos jours. La plus célèbre d’entre
elles s’appelait Louna El Daya (Louna la Sage-Femme). La parturiente
était chouchoutée du début de la grossesse jusqu’à l’instant de
l’accouchement, par sa mère, sa belle-mère, ses sœurs, belles-sœurs et
le moindre de ses désirs était immédiatement satisfait, surtout
lorsqu’il s’agissait de n’importe quel genre de nourriture, fruit ou
légume, afin que le bébé ne porte pas sur le corps aucune marque
d’envie.
Après l’accouchement, on maintenait la maman au lit pendant un minimum
de huit jours et tout le monde s’occupait d’elle et satisfaisait son
moindre caprice ; quant au bébé, il était étroitement emmailloté avec
les bras immobilisés le long du corps par une large et longue sangle
de tissu, pendant plusieurs mois, pour que sa colonne vertébrale ne se
dévie pas. Pour aider la mère à récupérer et afin qu’elle ne
s’affaiblisse pas en allaitant son bébé, on la gavait d’un genre de
friandise appelé Mefata’a ce qui veut dire L’Exploseuse. Vous saurez
pourquoi, plus loin. Les ingrédients et le processus nécessaire à sa
fabrication étaient les suivants :
Dans un bain d’huile d’olives chaude, on faisait revenir séparément
chacun des articles suivants, en quantités égales :
- des cerneaux de noix,
- des pistaches décortiquées,
- des amandes,
- des noisettes,
- des pignons de pin,
- de la noix de coco fraîche en copeaux,
- des graines de sésame et j’en oublie.
Au fur et à mesure de leur cuisson, on les jetait dans une grande
marmite contenant plusieurs litres de miel d’abeilles chauffés
légèrement. On mélangeait le tout inlassablement après y avoir ajouté
un ensemble d’une quinzaine d’épices préparées spécialement pour
cette composition par le Aatar* et qu’on appelait artouss el aatar*.
Parmi ces épices, il y avait du bois de panama, du gingembre, de la
cannelle, de la noix de muscade, de la graine de nigelle et autres
herbes et graines aromatiques et stimulantes.
D’autre part, on avait mis à tremper, la veille, une certaine quantité
de gomme adragante appelé en arabe kitiria qui gonflait pour former
une gélatine légère. Quand la mixture refroidissait, on y ajoutait
peu à peu cette gélatine en petites quantités à la fois et on
malaxait le tout, longuement, avec les avant-bras, les manches
retroussées jusqu’aux coudes et ce, jusqu’à ce qu’elle prenne une
consistance mi-solide, comme un nougat mou. La parturiente en mangeait
à longueur de journée afin de ne pas tomber d’épuisement par suite de
son accouchement et, au bout de quelques jours, elle doublait presque
de volume grâce à cette friandise ultra reconstituante, riche en
calories.
Etant donné la complexité de l’opération et le long travail qu’elle
occasionnait, on n’en faisait pas moins d’une vingtaine de kilos à la
fois, et souvent plus, qu’on coulait dans des boîtes en fer-blanc d’un
kg environ. Il y avait une dame spécialisée dans la fabrication de la
Mefata’a qui venait dans les familles entreprendre cette opération.
Chez nous, ma mère n’aimait pas du tout se laisser chouchouter car
elle avait un caractère affirmé et était consciente de ses devoirs
envers sa nombreuse progéniture. Le lendemain de son accouchement elle
était déjà sur pieds et s’occupait comme d’habitude. La seule
exception était la préparation de la Mefata’a qu’il était de tradition
d’offrir aux invités lors de leur visite de félicitation pour
l’arrivée du nouveau-né. Quant à elle, elle n’en consommait que très
peu. Mais nous, nous nous en régalions et j’en ai encore le goût à la
bouche. On envoyait une boîte aux parents et aux amis proches. C’était
un cadeau apprécié.
Suivez bien les conseils des internautes et bon appétit ! |