Un office en Judéo Espagnol
célébré à la synagogue
Don Isaac Abravanel à Paris 11ème
Dans
le creuset d’origines diverses qui caractérisait la communauté des Juifs
d’Egypte entre 1870 et 1960, il y avait une minorité que nous appelions
les « ladinos »,
qui parlaient souvent une langue que nous croyions être de l’espagnol et
qui avaient des préparations culinaires qui leurs étaient propres. Mais
ce n’était qu’une
« minorité au sein d’une minorité » et le cosmopolitisme bien
caractéristique et la diversité des origines nationales qui régnait au
sein de la communauté des Juifs
d’Egypte était telle que pour ceux qui n’en faisaient pas partie, ces
Juifs hispanisants se fondaient dans le reste de la Communauté et ne
s’en distinguaient pas.
Et pourtant, ils avaient des origines diverses : Turquie, Iles de Rhodes
et de Corfou, la Bulgarie etc. et le Judéo espagnol qu’ils parlaient
devait sans doute
être différent d’un groupe à l’autre.
C’est
donc avec beaucoup d’anticipation et au nom de l’AJOE
que je me suis rendu à l’invitation de Claire Romi, la responsable du
Centre Culturel Popincourt (la maison Judéo espagnole à Paris) pour
assister à un office
du Shabbat en Judéo espagnol. J’ai pensé que nos amis et membres de l’AJOE
souhaiteraient que j’en fasse un compte rendu.
Samedi
24 novembre 2007 a été un évènement rare dans la vie de la synagogue Don
Isaac Abravanel de la rue de la Roquette à Paris. Une synagogue datant
des années 60, discrète de l’extérieur et en retrait de la rue, mais
magnifique de l’intérieur.
En
effet, en présence du maire de l’arrondissement et de plusieurs autres
personnalités, l’office du Shabbat a été célébré en Hébreu et en
Judéo-espagnol, dans
une synagogue remplie à craquer, tant dans les rangs des messieurs qu’à
l’étage des femmes. Les Rabbins Meir Malka, Haïm Soudry et le Cantor
Armand
Benamou officiaient pendant le service.
Comme
certains de nos lecteurs le savent (mais que j’avoue avoir ignoré
jusqu’à ce jour), le Judéo espagnol est la langue parlée par diverses
communautés
des Balkans, de l’empire Ottoman et d’Afrique du Nord, proche du
castillan de Cervantès avec des ajouts d’hébreu, et dont la
prononciation de certains
sons diffère de l’espagnol contemporain. Il faut noter cependant que le
Judéo espagnol n’est pas le « ladino » car celui-ci n’est pas une langue
parlée,
(du moins c’est le consensus qui se dégage quand on se renseigne un tant
soit peu) mais uniquement une langue écrite. A l’origine, le ladino
était la traduction
rigoureuse, mot à mot, des textes hébreux en espagnol et ceux-ci
étaient à leur tour retranscrits en caractères hébraïques pour servir de
texte à utiliser
pendant les offices religieux des Juifs installés en Espagne. L’origine
de cette pratique aurait été la conséquence, semble-t-il, des
persécutions infligées
aux Juifs par les chrétiens en Espagne, qui soupçonnaient et accusaient
les Juifs de proférer des blasphèmes à l’encontre de leur Dieu en
faisant leurs prières.
Pour faire taire ces accusations infondées, les rabbins d’Espagne
entreprirent de traduire les prières en espagnol tout en conservant
l’usage de l’alphabet
hébraïque (car alphabet de la Torah) pour écrire leurs textes de
prières.
Ce
qui est étonnant, c’est qu’en dépit des persécutions, des conversions
forcées, des massacres et autres exécutions, les Juifs qui survécurent à
cette
période sombre de l’histoire de l’Espagne et qui se réfugièrent dans
l’Empire Ottoman après leur expulsion d’Espagne ou qui s’arrêtèrent en
route en Afrique du Nord, conservèrent leurs coutumes et l’usage du
Judéo espagnol pendant les cinq siècles qui suivirent et n’abandonnèrent
jamais les traditions de leurs ancêtres. On aurait pu croire qu’ils
auraient tenté d’oublier et d’effacer de leur mémoire cette terrible
période.
Il n’en fut rien et c’est ainsi que se perpétua au sein de cette
communauté l’usage du Judéo espagnol que leurs ancêtres avaient parlé
pendant
des siècles en Espagne, ainsi que l’usage de leurs textes de prières en
espagnol mais en caractères hébraïques.
A
la fin du 19ème siècle, alors que l’Empire Ottoman tombait en
déliquescence, de nombreux Juifs qui y résidèrent prirent à nouveau le
chemin de
l’exil et, grâce à l’éducation reçue au sein du formidable réseau
d’écoles de l’Alliance Israélite Universelle, enseignement prodigué en
français, ils prirent
le chemin de la France. Ils partirent vers ce pays dont ils avaient tant
entendu parler et dont la devise de Liberté, Egalité, Fraternité donnait
tant d’espoir
à cette communauté qui avait vécu, quoique l’on dise, en « dhimmie » au
sein de l’Empire Ottoman.
Nombreux
furent ceux d’entre eux qui s’installèrent dans le 11ème
arrondissement. En fait, le cœur de cette communauté se trouvait rue
Popincourt et
rue Sedaine. Ces Juifs levantins s’installèrent et prospérèrent dans cet
arrondissement, et l’histoire a montré qu’ils excellèrent dans le métier
de grossistes
en linge de maison et alimentèrent de leurs commandes des usines
textiles du Nord de la France pendant des décennies. Survirent la 1ère
et la
2ème guerre mondiale et cette communauté paya un lourd
tribut, soit par suite de l’engagement volontaire de ses membres dans
l’armée pendant
la 1ère guerre mondiale, soit par suite des déportations
organisées par Vichy et les nazis pendant la deuxième guerre mondiale.
Il
n’est donc pas surprenant que depuis la fin de la guerre, cette
communauté a décliné graduellement, malgré quelques arrivées de
nouveaux
immigrants qui sont venus renforcer ceux qui avaient survécu à la 2ème
guerre mondiale.
Le
Judéo espagnol est une langue dont l’usage et la diffusion ont périclité
mais récemment, des efforts entrepris par diverses associations tentent
de la faire revivre et d’en accroître la diffusion.
C’est
la raison pour laquelle, le service célébré en Judéo espagnol en la
synagogue Don Isaac Abravanel, était une source de joie et de fierté
pour les membres de cette congrégation car la synagogue a retenti de
chants dans cette langue qui ne demande qu’à revivre, et c’était
magnifique
et réconfortant de constater que toutes les générations étaient
représentées à cet office et que la relève est ainsi assurée pour
préserver ce pan
si important de l’histoire des Juifs séfarades.
David Harari
Secrétaire de l’AJOE

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