Actualité
novembre 2013
Les Juifs d'Egypte - Documentaire
réalisé par Amir Ramsès (2012)
Lundi 4 novembre a eu lieu à Paris la
projection du documentaire réalisé par Amir Ramsès, « Jews
of Egypt » que nous attendions depuis de nombreux mois.
Ce film d’environ 1h45 a
fait l’objet de nombreux articles du fait des difficultés du réalisateur
à obtenir le droit de le projeter en Egypte, révolution et
censure aidant et finalement, il obtint cette autorisation en mars
dernier, date à laquelle il fut projeté pendant 4 semaines dans
3 salles du Caire et une salle d’Alexandrie. Assistant de
Youssef Chahine, Amir Ramsès a entrepris un film indépendant
avec un budget modeste et beaucoup de ténacité pour parvenir à
l’achever.
Je m’attendais donc à
assister à une fresque retraçant l’histoire de la communauté
juive en Egypte, et les diverses composantes de cette société
cosmopolite, polyglotte et éduquée (dans sa grande majorité).
Le film commence
par quelques questions posées à des hommes assis au café et à
la question « que pensez-vous de Leila Mourad », le
questionné répond « c’est une très bonne chanteuse, je
l’aime beaucoup » et quand le réalisateur lui dit
« sais tu qu’elle était juive ».Immédiatement le
questionné répond « en fait elle était très mauvaise» (« mouch kwayesa awi »).
A partir de ce début,
le réalisateur mentionne qu’il y avait jusque dans les années
50 des juifs qui habitaient en Egypte et sont mentionnés au
passage les familles de notables (Cattaoui, Suarès, Mosséri et
d’autres) et il explique qu’ils sont tous partis. Il aborde
ensuite la contribution à la culture égyptienne des artistes
juifs tant au cinéma (Togo Mizrahi), que dans la composition
musicale (Mounir Mourad) et la chanson populaire (Leila Mourad) et
il accorde à ces sujets quelques minutes pour en arriver aux
interviews de juifs exilés et d’un ou deux juifs (convertis à
l’islam) demeurés en Egypte et pendant quasiment tout le reste
du film.
Amir Ramsès a eu
accès à des archives de bandes d’actualité et son film est
souvent entrecoupé de scènes datant du siècle dernier (Mohamed
Naguib se rendant au grand temple Chaar Hachamaim, les discours de
Gamal Abdel Nasser en 54 quand il survécut à une tentative
d’assassinat à Alexandrie et ensuite en 56 annonçant la
nationalisation du Canal de Suez).
Mais en fait, tout
au long de son film, le réalisateur accorde une place prépondérante
aux tribulations des juifs égyptiens communistes.
Amir Ramsès
accorde une grande place dans son film à la vie d’Henri Curiel,
issu d’une grande famille juive qui fut l’un des fondateurs
d’un parti communiste en Egypte. Il retrace son expulsion
d’Egypte et son exil en France dès le début des années 1950,
son indéfectible attachement à la cause communiste et à l’indépendance
de l’Algérie sont racontés par le menu. Son fils naturel,
Alain Gresh, directeur général-adjoint du Monde Diplomatique,
publication indépendante du quotidien Le Monde, (ce que bien des
personnes ignorent), raconte leur implication dans tous ces
combats de libérations nationales et à la cause palestinienne.
On apprend ainsi qu’à la mort de sa mère, qui vécut toute sa
vie au Caire, Henri Curiel fit don de la belle villa familiale à
l’Algérie pour qu’elle en fasse son ambassade en Egypte.
Parmi les
interviewées, une militante, expulsée dès 1952 pour ses activités
communistes, et après une période d’emprisonnement qu’elle décrit
comme ayant été très supportable (!) raconte sans aucune émotion
qu’elle avait rejoint l’équipe d’Henri Curiel dès son
arrivée en France. Elle raconte ensuite
qu’en 1956 ils avaient eu accès aux plans de l’invasion de
l’Egypte par la France et
la Grande-Bretagne. On
lui confia ces plans et elle partit à Rome pour les remettre à
Saroit Okacha, un des officiers de
la Révolution Egyptienne
qui était ambassadeur d’Egypte en Italie. Au cours de leur
rencontre, ce dernier lui assura qu’il les porterait
personnellement à Nasser, ce qu’il fit et heureusement que les
experts militaires égyptiens n’en tinrent pas compte. Qu’une
personne accueillie comme réfugiée en France n’hésitât pas
à trahir son pays d’accueil pour remettre des documents secrets
au représentant du pays qui l’avait expulsée reflète le degré
d’aveuglement et de fanatisme pour « La Cause » qui
prévalait à l’époque au sein d’une certaine frange, (sans
doute très marginale) des juifs d’Egypte.
Le film évoque le sort de la communauté en rapportant les assertions
(erronées) d’un parlementaire (ou d’un ancien ministre ?),
que les juifs d’Egypte n’avaient pas été expulsés et
certainement pas ceux qui détenaient la nationalité égyptienne…certains
mythes de la propagande ont la vie dure et les égyptiens ne
savent pas ou ne veulent toujours pas regarder la réalité en
face.
A sa décharge,
Amir Ramsès mentionne le pogrom qui survint en 1935 et
ensanglanta le Quartier Juif, ainsi que l’incendie du Caire de
1952 et l’antisionisme qui se développa avant même la création
de l’Etat d’Israël et qui se transforma en antisémitisme au
fil des ans.
Quant au juif
(converti à l’Islam) interviewé, malgré les arrestations, la
torture et les brimades une fois libéré, il ne renia rien de son
militantisme communiste. On l’informa qu’une loi avait décidé
que toute conversion d’un juif à l’Islam postérieure à 1958
était considérée nulle et non avenue,
cela ne le découragea pas, mais il fut néanmoins exclu du
parti communiste du fait de sa judéité. Quand il demanda un visa
pour se rendre à l’étranger, on ne lui accorda qu’un visa de
sortie définitive (qu’il refusa) et il demeura au Caire figé
dans son obstination.
Rien dans tout
cela pour peindre une fresque de la mosaïque tout à fait
extraordinaire qu’était une communauté si diverse par ses
origines géographiques, par ses coutumes culturelles, par sa
contribution à tous les rouages de l’économie égyptienne (et
pas uniquement les « grands capitalistes » tels que
Cicurel et les autres familles mentionnées) et qui, pour la
plupart, vivait en bonne harmonie avec des voisins musulmans,
grecs, italiens et anglais depuis les bancs de l’école jusque
dans la vie professionnelle.
Dans la séance de
Questions/Réponses, le réalisateur a expliqué que, de par son
origine familiale, il avait voulu dresser le tableau de la
contribution essentielle de (certains) juifs d’Egypte à la création
du parti communiste et à l’action des nationalistes juifs en
Egypte.
Son film était
fait pour un public égyptien (d’ailleurs il est à 90% en
arabe, sous-titré en français) et il n’a jamais eu
l’ambition de raconter l’histoire des juifs en Egypte, si ce
n’est un aspect très particulier de cette histoire.Ce film a été
réalisé avec un budget très limité et Amir Ramsès n’a pu
interviewer que des exilés en France sans pouvoir se rendre aux
USA, en Israël, au Canada, en Australie ou au Brésil, pays qui
ont accueilli nombre d’exilés juifs égyptiens qui auraient pu
apporter d’autres éclairages à ce projet.
La seule pointe
d’humour fut l’histoire, peut-être apocryphe, rapportée par
un des interviewés, de ce touriste juif qui insistait pour que
son groupe fasse un arrêt sur la tombe de Nasser au cours d’un
voyage en Egypte. A force d’insister, le guide organisa le
dernier jour une visite de cette tombe et le touriste juif y déposa
une couronne de fleurs. Intrigué, le guide lui demanda la raison
de ce geste, et le juif exilé lui répondit, « sans Nasser,
je ne serais jamais devenu le millionnaire que je suis, alors je
lui devais bien cette couronne ! ».
Au total, ce film
décevra tous ceux qui attendent d’assister à
un film retraçant l’histoire des juifs d’Egypte. Pour
les autres, de revoir ces bandes d’actualités de l’époque et
ces personnages qui ont marqué la génération des exilés
d’Egypte, apportera un éclairage partial qui était voulu par
le réalisateur, tout en ravivant de vieux souvenirs pour ceux qui
sont assez vieux pour les avoir vécus.
En conclusion, le
film sur l’histoire des juifs en Egypte reste à réaliser.
Puisse un cinéaste courageux et curieux s’y atteler avant que
tous les témoins de cette époque n’aient disparus.
David Harari
Trésorier
de l’AJOE
(Association
des Juifs Originaires d’Egypte
novembre
2013

mise à jour 18/11/13 |