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Paula Jacques - Rachel Rose et l’officier arabe

 


Paula Jacques – « Rachel Rose et l’officier arabe »
Roman – Mercure de France 414 pages 20€


Avec ce nouveau livre, Paula Jacques ne décevra pas ses inconditionnels, avides des petites tragédies croustillantes et colorées qui sentent le Haret El Yahoud. Passons sur la relation des premiers émois de Rachel Rose Cohen, gamine de 16 ans séduite par l’officier arabe : c’est de la même veine que ces amours impossibles portées sur les écrans cairotes, à la fin des années 40 par Henri Barakat, Anwar Wagdi ou d’autres.

Et pourtant, ce roman a de quoi déconcerter -avec bonheur- et susciter l’intérêt à plus d’un titre.

D’abord, c’est au moment où nous commémorons le cinquantenaire du second exode que Paula Jacques nous livre son dernier ouvrage inspiré de cette Egypte à peine sortie de la crise de Suez. L’auteur plante le contexte dès les premières pages : « A l’instant où la guerre de Suez avait pris fin, ce ne fut plus la guerre, mais la paix qui devint terrible. Tout de suite après l’expulsion des ressortissants français et anglais, les Juifs se virent, à leur tour, suspectés d’impérialisme, de sionisme… ».

Voici comment le lecteur de la deuxième génération qui, de cette époque n’a que la vérité subjective de ses aînés est mis au fait de cette implacable mécanique d’Etat. Celle qui, en trois mois, a mis fin à trois mille ans de présence juive en Egypte : « Les journaux imprimaient des choses terribles. Au Khan Khalil, un orfèvre juif avait été poignardé dans sa boutique, au Daher, des gosses armés de pétards avaient mis le feu à la synagogue pleine à craquer ce jour là. Les espions du prétendu Etat hébreu travaillaient dans l’ombre à démoraliser puis à anéantir la jeune république des Officiers libres. Le gouvernement exhortait le peuple à la vigilance, à la solidarité, à l’union sacrée. Des foules de manifestants abreuvaient les rues de paroles incendiaires contre la race maudite… »

En second lieu, un personnage trouble au dessein insondable donne au livre une dimension, inédite chez Paula Jacques, mais maîtrisée, d’un thriller qui n’est pas sans rappeler Psychose de Hitchkok. Voici Fou’ad Barkouk, l’officier à deux étoiles. Qui est-il ? Celui qui causera le malheur des Cohen ou alors, celui qui, mû par on ne sait quelle motivation intime, sera leur sauveur? Ce qui est sûr, c’est que ce Fou’ad tisse en virtuose de la manipulation, des fils qui, inexorablement, mettent les Cohen à sa merci.

On pénètre petit à petit les germes de sa rancœur née d’humiliations passées et son irrésistible besoin de s’en laver, à la fois par l’effet d’une vengeance à la mesure de sa souffrance et par la rentrée en possession de sa fierté d’Egyptien que lui insuffle « son maître à penser, son maître de vie ». Monsieur Ramzi est son ancien professeur d’arabe classique et intime de la confrérie des Frères Musulmans. La psychologie complexe et sensible de Fou’ad Barkouk en fait le personnage principal, en tout cas le plus attachant du livre dont le titre aurait aussi bien pu être L’officier arabe et Rachel Rose.

Au terme d’une lecture qu’une fois entamée, on ne peut interrompre, et n’en déplaise à quiconque, j’ose le dire, on ressent avec intensité la même vibration des sentiments que celle qui émane des roman de Naguib Mahfuz.

Didier Frenkel 03 2006.
 

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