LE LYCEE DE LA RUE HAWAYATI

 

Si mes souvenirs sont bons c’est en 1927 que le Lycée Français du Caire avait emménagé dans de nouveaux bâtiments à la rue Hawayati.

 

C'est là que j'ai fait mes classes à partir de la septième, c’est-à-dire l'année du certificat d'études, que je passais d'ailleurs de justesse. Il m'avait fallu un bon paquet de chance, car à dire vrai, je ne faisais pas grand-chose. Mais l'essentiel avait été de l'avoir.

 

Notre professeur de dessin s'appelait Stoloff. L'un de ses fils a fait par la suite, une belle carrière de producteur à Hollywood.

 

L'heure de dessin se situait à la fin de la journée scolaire.

 

À la sortie, on trouvait devant la porte des tricycles de marchands de glaces, des vendeurs de bonbons, de cacahuètes enrobées de sucre caramélisé et autres friandises. Les sticks (bâtonnets) de glaces "Groppi" étaient les plus appréciés, et c'était souvent la première gâterie que les élèves se payaient...

Un autre personnage merveilleux de cette époque était le professeur d'arabe Monsieur El Etre.

 

A l’époque l'étude de la langue arabe présentait très peu d'intérêt. Les professeurs, eux-mêmes, qui nous l'enseignaient n'étaient pas convaincus de leur mission.

 

Aussi, l'heure d'arabe était pour nous, sinon l'occasion de chahut, car nous craignions l'arrivée du surveillant général, du moins la possibilité de faire quelques bonnes blagues.

Ce pauvre El Etre était myope comme une taupe. Nous avions ainsi la possibilité de quitter la classe en faisant répondre "présent" à l'appel de notre nom par un autre camarade. Mais ce manège nous a quelques fois valu des heures de retenue pour ..... bavardage en classe ... alors que nous en étions absent. C'était le revers de la médaille.

 

Miss Volkonsky, princesse russe épargnée par la révolution et réfugiée en Egypte était notre professeur d'anglais. Elle avait une perruque rousse, bien fixée à sa tête par un ruban qui lui enserrait le front. Que de fois avons-nous étés tentés d'arracher, "par mégarde" ce ruban pour voir tomber la perruque ! Sa mâchoire supérieure dotée d'une dentition proéminente la faisait ressembler à un lapin. Je me souviens encore du premier poème qu'elle nous avait enseigné : "Twinkle, twinkle little star, how I wonder what you are, etc....

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Lorsque nous faisions trop de chahut, elle appelait à son secours le surveillant général, Monsieur Staresky, autre personnage de la noblesse déchue. Celui-ci à l'occasion nous gratifiait d'un beau billet de consigne, deux heures de retenue qui nous faisaient revenir le jeudi suivant au Lycée sous la surveillance de "Monsieur David".

 

Ah, ce Monsieur David, quel personnage ! - "Taisez-vous, toi ! " nous criait-il lorsque nous faisions du chahut pendant les heures de retenue sous sa surveillance. Nous prenions un malin plaisir à nous payer sa tête.

 

 Nous avions la possibilité, soit de faire des "lignes" (vous me ferez cent lignes !), soit de conjuguer des verbes sur tous les temps, soit, lorsque le surveillant nous le permettait, de faire les devoirs que nous devions rendre les jours suivants.

 

Nous interrogions constamment ce monsieur David qui n'avait pas dû aller très loin dans sa scolarité, sur les devoirs que nous avions à faire et lui demandions de nous expliquer au tableau tel problème d'algèbre ou telle analyse logique ou grammaticale.

 

Et ce brave David qui n'osait pas avouer son ignorance tentait de nous amener au CQFD d'un problème pendant que tous les élèves en retenue (et vous vous doutez, que ce n'étaient pas parmi les plus sages de l'école ) feignaient de rectifier à qui mieux mieux, du fonds de la classe, toutes les erreurs qu'il commettait tout en l’entraînant vers de nouvelles erreurs.

 

Pendant les heures de classe, la mauvaise tenue, le bavardage, n'étaient pas toujours sanctionnés par des heures de retenue. Quelquefois la sanction se traduisait par un certain nombre de "verbes" à écrire à tous les temps et à rapporter le lendemain.  - " Vous me conjuguerez cinq verbes pour demain ! "

 

Un condisciple du nom de illel Schwartz avait un jour trouvé l'astuce de raccourcir la punition en conjuguant  le verbe "pleuvoir".

 

Autre souvenir, ce papetier arménien du coin de la rue Hawaiati à l'enseigne "la Phalène". Il nous gratifiait d'un bonbon pour chaque achat effectué dans son magasin.

 

Ce brave Monsieur "La phalène" (nous l'appelions par le nom de son enseigne) a été un jour victime d'une affaire incroyable. Il avait acheté un lot de livres de classe usagés qu'il exposait dans un bac devant son magasin et qu'il offrait en solde à une ou deux piastres pièce. Peu cultivé, il n'avait même pas trié ces livres, se disant que les élèves intéressés le feraient eux-mêmes.

 

Or, il s'est trouvé dans ce lot un livre très peu destiné à l'usage scolaire et contenant des photos de jolies dames dévoilées.

 

Le premier jeune acquéreur de ces livres en solde, négligeant les traités d'algèbre ou autres, se précipita sur cette aubaine l’emporta à la maison où il fut découvert par les parents.

 

 Plainte fut déposée à l'encontre du papetier pour vente à de jeunes élèves de livres licencieux.

 

Monsieur "La Phalène" fut emmené menottes aux poings. Il fit appel comme témoins de moralité à tous les élèves qu'il servait ainsi qu'à leurs parents qui n'avaient rien à lui reprocher. Ce n'est qu'au bout de quelques semaines et après avoir prouvé sa bonne foi qu'il put enfin redistribuer des bonbons à ses jeunes acheteurs.

  

Quoique dans le même bâtiment, le Lycée des filles était séparé de celui des garçons. Et pour éviter les rencontres, l'heure de sortie des filles était retardée d'une demi-heure de celle des garçons.

 

Une demi-heure passée chez Issaévitch (la « cafétéria du rond point qui mérite à elle seule tout un chapitre) permettait à certains d'entre nous d'attendre la sortie des filles. Alors ceux qui possédaient une bicyclette tournaient un peu autour, sans méchanceté, ni provocation, simplement comme ça pour voir de plus près les filles lorsque nous le pouvions, car beaucoup d'entre elles étaient attendues à la sortie par la maman, la bonne ou le chauffeur.

 

Nous étions ainsi amoureux de l'une ou de l'autre, de préférence les plus jolies sans, bien entendu, oser le leur dire. Ayant quelques qualités vocales, j'avais un jour poussé la témérité jusqu'à me poster sous la fenêtre de la classe de la fille objet de mes convoitises et chanter à tue-tête la sérénade de Shubert : "Je suis là, sous ta fenêtre, palpitant d'espoir....."

  

 

Mais hélas au lieu de voir apparaître le visage de ma dulcinée, c'est celui de Miss Volkosky, notre prof. d'anglais, qui surgit en m'intimant l'ordre de m'en aller de suite.

 

Le lendemain, je fus convoqué chez le surveillant général, Mr. de Commène, qui me gratifiât d'une bonne quantité d'heures de retenue !

 

R.B.