Un autre
personnage merveilleux de cette époque était le professeur d'arabe
Monsieur El Etre.
A l’époque
l'étude de la langue arabe présentait très peu d'intérêt. Les
professeurs, eux-mêmes, qui nous l'enseignaient n'étaient pas convaincus
de leur mission.
Aussi, l'heure
d'arabe était pour nous, sinon l'occasion de chahut, car nous craignions
l'arrivée du surveillant général, du moins la possibilité de faire
quelques bonnes blagues.
Ce pauvre El
Etre était myope comme une taupe. Nous avions ainsi la possibilité de
quitter la classe en faisant répondre "présent" à l'appel de
notre nom par un autre camarade. Mais ce manège nous a quelques fois valu
des heures de retenue pour ..... bavardage en classe ... alors que nous en
étions absent. C'était le revers de la médaille.
Miss Volkonsky,
princesse russe épargnée par la révolution et réfugiée en Egypte était
notre professeur d'anglais. Elle avait une perruque rousse, bien fixée à
sa tête par un ruban qui lui enserrait le front. Que de fois avons-nous
étés tentés d'arracher, "par mégarde" ce ruban pour voir
tomber la perruque ! Sa mâchoire supérieure dotée d'une dentition proéminente
la faisait ressembler à un lapin. Je me souviens encore du premier poème
qu'elle nous avait enseigné : "Twinkle, twinkle little star, how I
wonder what you are, etc....
.
Lorsque nous
faisions trop de chahut, elle appelait à son secours le surveillant général,
Monsieur Staresky, autre personnage de la noblesse déchue. Celui-ci à
l'occasion nous gratifiait d'un beau billet de consigne, deux heures de
retenue qui nous faisaient revenir le jeudi suivant au Lycée sous la
surveillance de "Monsieur David".
Ah, ce Monsieur
David, quel personnage ! - "Taisez-vous,
toi ! " nous criait-il lorsque nous faisions du chahut pendant
les heures de retenue sous sa surveillance. Nous prenions un malin plaisir
à nous payer sa tête.
Nous
avions la possibilité, soit de faire des "lignes" (vous me
ferez cent lignes !), soit de conjuguer des verbes sur tous les temps,
soit, lorsque le surveillant nous le permettait, de faire les devoirs que
nous devions rendre les jours suivants.
Nous
interrogions constamment ce monsieur David qui n'avait pas dû aller très
loin dans sa scolarité, sur les devoirs que nous avions à faire et lui
demandions de nous expliquer au tableau tel problème d'algèbre ou telle
analyse logique ou grammaticale.
Et ce brave
David qui n'osait pas avouer son ignorance tentait de nous amener au CQFD
d'un problème pendant que tous les élèves en retenue (et vous vous
doutez, que ce n'étaient pas parmi les plus sages de l'école )
feignaient de rectifier à qui mieux mieux, du fonds de la classe, toutes
les erreurs qu'il commettait tout en l’entraînant vers de nouvelles
erreurs.
Pendant les
heures de classe, la mauvaise tenue, le bavardage, n'étaient pas toujours
sanctionnés par des heures de retenue. Quelquefois la sanction se
traduisait par un certain nombre de "verbes" à écrire à tous
les temps et à rapporter le lendemain.
- " Vous me conjuguerez cinq verbes pour demain ! "
Un condisciple
du nom de illel Schwartz avait un jour trouvé l'astuce de raccourcir la
punition en conjuguant le
verbe "pleuvoir".
Autre souvenir,
ce papetier arménien du coin de la rue Hawaiati à l'enseigne "la
Phalène". Il nous gratifiait d'un bonbon pour chaque achat effectué
dans son magasin.
Ce brave
Monsieur "La phalène" (nous l'appelions par le nom de son
enseigne) a été un jour victime d'une affaire incroyable. Il avait acheté
un lot de livres de classe usagés qu'il exposait dans un bac devant son
magasin et qu'il offrait en solde à une ou deux piastres pièce. Peu
cultivé, il n'avait même pas trié ces livres, se disant que les élèves
intéressés le feraient eux-mêmes.
Or, il s'est
trouvé dans ce lot un livre très peu destiné à l'usage scolaire et
contenant des photos de jolies dames dévoilées.
Le premier
jeune acquéreur de ces livres en solde, négligeant les traités d'algèbre
ou autres, se précipita sur cette aubaine l’emporta à la maison où il
fut découvert par les parents.
Plainte
fut déposée à l'encontre du papetier pour vente à de jeunes élèves
de livres licencieux.
Monsieur
"La Phalène" fut emmené menottes aux poings. Il fit appel
comme témoins de moralité à tous les élèves qu'il servait ainsi qu'à
leurs parents qui n'avaient rien à lui reprocher. Ce n'est qu'au bout de
quelques semaines et après avoir prouvé sa bonne foi qu'il put enfin
redistribuer des bonbons à ses jeunes acheteurs.
Quoique dans le
même bâtiment, le Lycée des filles était séparé de celui des garçons.
Et pour éviter les rencontres, l'heure de sortie des filles était retardée
d'une demi-heure de celle des garçons.
Une demi-heure
passée chez Issaévitch (la « cafétéria du rond point qui mérite
à elle seule tout un chapitre) permettait à certains d'entre nous
d'attendre la sortie des filles. Alors ceux qui possédaient une
bicyclette tournaient un peu autour, sans méchanceté, ni provocation,
simplement comme ça pour voir de plus près les filles lorsque nous le
pouvions, car beaucoup d'entre elles étaient attendues à la sortie par
la maman, la bonne ou le chauffeur.
Nous étions
ainsi amoureux de l'une ou de l'autre, de préférence les plus jolies
sans, bien entendu, oser le leur dire. Ayant quelques qualités vocales,
j'avais un jour poussé la témérité jusqu'à me poster sous la fenêtre
de la classe de la fille objet de mes convoitises et chanter à tue-tête
la sérénade de Shubert : "Je suis là, sous ta fenêtre, palpitant
d'espoir....."
Mais hélas au
lieu de voir apparaître le visage de ma dulcinée, c'est celui de Miss
Volkosky, notre prof. d'anglais, qui surgit en m'intimant l'ordre de m'en
aller de suite.
Le lendemain,
je fus convoqué chez le surveillant général, Mr. de Commène, qui me
gratifiât d'une bonne quantité d'heures de retenue !
R.B.
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