Résurgences des Marranes dans le Brésil contemporain.

La conférence du professeur N.Wachtel en novembre 2002 sur ce sujet a fait l’objet d’un fascicule que l’on peut se procurer au Collège de France. (tel : 01 4427 1211).

Nous essaierons d’en faire un résumé dans le texte qui suit.

Le terme de marrane s’applique aux groupes faisant partie de ce que l’on appelait les « nouveaux chrétiens » dans le monde Ibérique, descendants des juifs convertis de force et qui néanmoins ont continué à entretenir clandestinement des croyances et des coutumes plus ou moins judaïsantes. Ces conversions forcées commencées en Espagne dés la fin du XIVe siècle se sont amplifiées jusqu’à l’expulsion des Juifs en 1492 tandis qu’au Portugal une ordonnance de 1497 imposa brutalement le baptême aux Juifs.

Alors qu’une présence de vastes réseaux de marranes subsistent jusqu’au XVIIIe siècle, une mémoire marrane se prolonge encore semble-t-il, jusqu’à nos jours et ceci malgré l’œuvre inévitable de l’oubli.

Trois cas sont étudiés : au Portugal, au Mexique et au Pérou desquels il ressort que si les deux derniers cas n’informent que médiocrement-à aujourd’hui- sur le contenu des traditions transmises par de possibles ancêtres de nouveaux –chrétiens, -le cas du Portugal par contre réunit un riche matériel ethnographique et ne laisse aucun doute de l’authenticité de ces nouveaux-chrétiens. Ce qui suggère que l’aire lusitanienne paraît offrir des conditions plus favorables à la persistance de certaines continuités et qui sera vérifié dans le cas du marranisme brésilien.

Au Portugal, la conversion imposée en 1497 est plus tardive qu’en Espagne ; elle frappe la communauté juive collectivement et les Tribunaux de l’Inquisition ne commencent leurs campagnes de répression qu’en 1540 de sorte que pendant cette quarantaine d’années où régna une relative tolérance, on assiste à une « cristallisation » d’un crypto-judaïsme spécifique et solidement constitué. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’activité de l’Inquisition au Portugal détermine une sorte de chassé-croisé entre les deux pays avec un afflux de judaïsants qui vont chercher refuge en Espagne et qui continuent à être qualifiés de « Portugais » alors même qu’ils reviennent parfois en la terre de leurs ancêtres.

D’où le rôle central du Brésil, où les « conversos » portugais atteignent logiquement leur plus grande densité. A quoi s’ajoute la particularité supplémentaire de l’occupation hollandaise du Nord-Est brésilien(1630-1654) qui donne lieu à la création à Recife de la première communauté officiellement juive en Amérique : la Congrégation ZUR ISRAEL se composant de juifs venus d’Amsterdam, généralement des « nouveaux-Juifs » de même origine portugaise et d’un certain

nombre de nouveaux-chrétiens précédemment immigrés au Brésil En 1645,après la défaite hollandaise, les Juifs venus d’Amsterdam purent presque tous rembarquer

soit pour revenir dans les Provinces-Unies, soit pour s’établir dans une des îles des Caraïbes, soit pour se rendre à la Nouvelle Amsterdam(aujourd’hui New York).

Cependant, bien que de plus faible ampleur qu’en Espagne, il y eut une répression sévère au Brésil à partir de l’extrême fin du XVIIe siècle, qui s’est prolongée jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle mais qui n’eût pas, semble-t-il le même effet de désagrégation catastrophique que dans les territoires espagnols.

C’est pour toutes ces raisons, que l’auteur a orienté son étude vers le Brésil. Il a pu mettre en évidence au travers de différentes rencontres- auprès d’interlocuteurs et de familles diverses- des rites, des coutumes et des traditions(règles alimentaires, bougie du vendredi, mariages endogames, rites funéraires … )qui, sans pouvoir strictement être identifiées comme un héritage juif ou judaïsant, soulèvent nombre d’interrogations sur le passé et les ancêtres de ceux-ci.

Le mouvement de retour au judaïsme qui s’est accéléré au cours de la dernière décennie du XXe siècle particulièrement dans le Nord-Est du Brésil, a permis à des « Juifs marranes » de fréquenter des synagogues locales où ils ne reçurent d’ailleurs qu’un accueil mitigé de la part des communautés ashkénazes. Ils purent néanmoins bénéficier d’un enseignement religieux et grâce à l’impulsion de guides religieux, ils purent former des associations tel que l’ « Association religieuse israélite marrane » dans la ville de Natal et à Recife l’ « Association religieuse Sépharade Bnei Anoussim » c.a.dire des descendants des convertis de force.

En raison des situations très complexes et variées rencontrées, l’auteur reconnaît l’importance d’approfondir les recherches dans l’espace et dans le temps.

La conférence se termine par le rappel d’un événement symbolique : en mai 1997,à Recife, s’est réuni le premier « Congrès » national des « Juifs marranes »du Brésil.

Manifestation identitaire certes, mais aussi une manière de commémorer le cinq centième anniversaire de la conversion forcée au Portugal.