L'étonnante histoire des Frères FRENKEL
Les
Frenkel ont dû quitter l’Egypte en septembre 1951, Salomon ayant
été licencié de son travail en raison de « l’égyptianisation ».
Munis de leur « feuille de route valable pour un seul voyage et
sans retour », ils sont arrivés à Marseille pour un transit dans
le camp de réfugiés Eilat avant de rejoindre Israël.
En définitive les Frenkel ont décidé de rester sur le territoire
français et se sont installés en région parisienne. C’est là que
David, le créateur, l’artiste de la famille, épaulé par Salomon,
le technicien et Herschel, ainsi que leur père ont repris leur
activité vitale, celle de la réalisation de dessins animés.
Jenny née en Egypte, Dany et Didier nés en France, les enfants de
Salomon ont, des années durant, baigné dans l’atmosphère créée par
l’étrange activité de leur père et oncles, ô combien originaux !
Sans mesurer à l’époque le caractère exclusif de la passion
commune de leur famille, ils ont eu le bonheur d’apporter leur
concours de coloristes ou de surligneurs en herbe, de suivre les
étapes de la fabrication des œuvres de David, de vivre les séances
épiques de photographie image par image ou de sonorisation...
Salomon, ingénieux et débrouillard a reconstruit de ses mains fort
habiles tous les appareils de prise de vue, de montage, de
sonorisation et de visionnage nécessaires à la réalisation des
dessins animés.
C’est à la suite du décès de l’oncle David le 31 décembre1994 que
le capital artistique de la famille commença à révéler à la fois
son histoire et sa valeur. Composé d’une multitude d’affiches, de
coupures de presse, de correspondances, il a permis à Didier,
enthousiaste et persévérant, de reconstituer toute la filmographie
année par année et à faire coïncider les titres respectifs.
Par bonheur, la logique de la censure égyptienne avait classé les
dessins animés des frères Frenkel dans la catégorie des
productions étrangères, ce qui leur a permis de les emporter avec
eux lors du départ d’Egypte !
Puis Didier se décida à vérifier les boîtes métalliques contenant
les films au nitrate d’argent depuis longtemps reléguées dans la
cave. C’est ainsi qu’il découvrit petit à petit 8 films intacts,
mais extrêmement inflammables et qu’il était impossible de
visionner.
Se posait alors la question du sort à réserver à ce bien.
N’était-ce pas une œuvre exceptionnelle, qui faisait remonter aux
années 30 la naissance du dessin animé en Egypte alors
qu’officiellement le film d’animation était apparu dans ce pays en
1960, année de création de la télévision ? Ce film à vocation
patriotique, ne pourrait-il encore faire vibrer la fibre
nationaliste des Egyptiens ? Les courts-métrages publicitaires
n’avaient-ils pas les attributs d’un reflet de la société
cosmopolite de la période pré nassérienne ?
Didier eut l’idée d’envoyer un fax à l’Institut du Monde Arabe
avec cette accroche : «les premiers dessins animés égyptiens
datent de 1935 et je détiens les copies». Il y avait joint un
élément de choc : une affiche de film que se partageaient presque
également Om Kalthoum et Mish-Mish Effendi.
Dès lors, les films ont été pris en charge par le service des
archives du cinéma et restaurés. Une copie en a été confiée à
l’IMA pour être (très mal) sous-titrée, puis les projections et
hommages se sont succédés en France, en Italie, avec pour point
culminant le 2ème festival du cinéma national du Caire de mai
1996.
Malheureusement, le dernier des pionniers, Salomon, très diminué,
ne put faire le voyage. Aussi, c’est Didier et sa mère qui se
rendirent à l’invitation du Ministère de la Culture. Un peu
d’amertume, quand même : il eût été si juste et beau que l’oncle
David reçoive de son vivant, les honneurs qu’il méritait...
Jenny F.

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