J'avais promis une suite de mes souvenirs de l'époque
où j¹assumais la direction artistique de l¹Auberge des Pyramides.
On ne peut pas dissocier « l¹Auberge » de celui qui a
été son créateur :Albert. Soussa.
Albert Soussa, égyptien d'origine syro-libanaise avait
une entreprise de fer-forgés. Il fabriquait dans ses ateliers les
carcasses de luminaires sur lesquelles il faisait monter les cristaux de
Baccara importés de France.
L'atelier se complétait par un hall d'exposition et de
vente rue Talaat Harb Pacha.
Ce style de luminaires était très prisé par la
noblesse et la grande bourgeoisie égyptiennes où le mobilier de salon se
composait souvent de fauteuils et canapés en bois dorés, avec au plafond
des luminaires en cristaux de Baccara de chez Soussa. Plus il y avait de
luminaires accrochés
au plafond, plus on était censé posséder de la fortune.
Albert Soussa avait équipé quelques salons des palais
royaux de ses luminaires et les faisait entretenir par ses services, ce
qui comme bien l'on pense représentait pour son entreprise une bonne
source de revenus.
Son frère, Edmond, avait été champion du monde de
billard. Lui-même n'était pas maladroit dans cette discipline. Aussi
l'intendance royale avait-elle cru bon de lui confier également
l'entretien des tables de billard des
Palais.
Il eut ainsi l'occasion, de rencontrer le souverain, et
je crois aussi d'engager avec lui quelques parties de billards, ce qui,
bien entendu, créa un climat relationnel
particulier entre eux.
Un mauvais repas pris dans un restaurant de la route des
Pyramides, une discussion avec le Maître d'Hôtel et Albert Soussa jura
de créer un établissement où l'on pourrait bien manger et être bien
servi.
Et c'est ainsi qu'en 1943 une villa sur la Route des
Pyramides fut transformée en un restaurant, vaste, agréable et décoré
dans le style rustique normand.
Progressivement un orchestre fut engagé pour créer une
ambiance, puis ce furent les Galas, les attractions, pour devenir in fine
le grand établissement de spectacle où se produisirent les plus grandes
vedettes du monde, dont une grande majorité de vedettes françaises.
Bien que les tables fussent installées à une bonne
distance les unes des autres avec des fauteuils destinés à accueillir le
large séant des orientaux, la grande salle pouvait contenir près de huit
cents personnes.
Les luminaires de la maison Soussa pendaient de partout.
À la cuisine trônaient de grands chefs "made in France"
arrachés à des hôtels, "l'importation" étant impossible en
temps de guerre, et le service de salle assuré par des maîtres d'hôtel
en habit assistés de "soufraghis" (serveurs) soudanais en gants
blancs.
Comme vous voyez, le qualificatif "d'auberge"
n'était plus du tout approprié à ce lieu. Mais le nom fut conservé et
devint une référence pour les artistes qui s'y produisirent.
Dès son inauguration, l'Auberge des Pyramides obtint un
succès immense. Toute la haute société s'y retrouvait. Y furent
organisés les Galas de bienfaisance au profit de telle ou telle
institution caritative ou des oeuvres des armées alliées. Les salons se
louaient pour célébrer des mariages
ou autres grands événements de la vie sociale ou professionnelle.
J¹avais dit que Farouk avait été présent une
première fois à l¹occasion d¹un
gala caritatif.
A cette époque en 43, j¹avais créé avec Simone Alex
et d¹autres artistes amateurs, un théâtre de chansonniers que nous
avions baptisé « La Lune Rousse », où je m¹étais spécialisé dans
les sketches franco-arabes.
Soussa m¹avait prié à l¹occasion de ce Gala, de
présenter quelques uns de mes sketches.
Le succès alla au-delà de mes espérances et je voyais
Farouk secoué de rires à chacune de nos répliques.
Farouk avait dû probablement prendre goût à
l¹ambiance qui régnait à l¹Auberge et aux marques discrètes de
respect qui l'entouraient, et c'est ainsi qu'une table lui fut réservée
en permanence.
Une autre table juste derrière la sienne était
destinée à sa garde r approchée. Une voiture du Palais amenait tous les
soirs deux policiers de la garde royale qui s'installaient dans le hall
d'entrée pour le cas où le roi viendrait par surprise.
Et c¹est ainsi qu¹invité vedette à l¹occasion d¹un
Gala de bienfaisance en 1943, je poursuivi ma carrière à l¹Auberge, en
qualité de directeur artistique jusqu¹à mon expulsion d¹Egypte en
1956.
Dans un troisième chapitre, si l'AJOE le souhaite, je
vous relaterai quelques souvenirs amusants de cette époque.
Roland Bertin
Un grand merci à Roland pour ses documents
si précieux. et sa participation toujours active - AJOE
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